Procédure judiciaire : Le déguisement du crime en délit : la correctionnalisation

Dossier Publié le 09.10.2013

Par Azhour Schmitt, juriste

Le plus simple est de vous raconter une petite histoire. Une jeune fille est violée. Plainte déposée, violeur arrêté, elle se retrouve face au juge d’instruction, mais ça peut être aussi devant le procureur. Le juge d’instruction lui explique qu’il vaut mieux pour elle que le viol soit jugé devant le tribunal correctionnel. Parce que dit-il, le délai est plus court que si le viol était jugé par la Cour d’Assises. Et, puis la Cour d’Assises c’est tellement impressionnant, ça va être dur, difficile à supporter.  Vous remarquerez que le terme de correctionnalisation n’est jamais prononcé, qu’il est question de juger un viol par un tribunal correctionnel. FAUX, ce n’est pas un viol qui est jugé.

Le viol (incestueux ou pas) est un crime

En France, la seule et unique juridiction compétente pour juger des crimes c’est la Cour d’Assises.  A partir de là , le viol ne peut donc pas être jugé par un tribunal correctionnel. Le tribunal correctionnel n’est pas compétent pour juger des crimes, il ne peut juger que des délits.

La correctionnalisation 

C’est un terme un peu barbare qui signifie qu’un crime va être maquillé en délit. Puisque le tribunal correctionnel ne peut pas juger un crime, il faut préalablement transformer le crime en délit. Juridiquement la différence entre un viol (crime) et une agression  ou une atteinte sexuelle (délit) c’est la pénétration.  Le juge va ainsi omettre cet élément (la pénétration) pour renvoyer une « affaire » d’agression ou d’atteinte sexuelle devant le Tribunal correctionnel.  Vous voyez que ce n’est pas un viol qui est jugé. Dire que le viol sera jugé par un tribunal correctionnel est donc un mensonge.  Voici que vous pourrez lire sur l’ordonnance de renvoi vers le tribunal correctionnel.

Attendu que Monsieur X a commis un viol. Mais attendu que Monsieur X a EN REALITE commis une atteinte sexuelle

C’est ce que les juristes appellent une FICTION JURIDIQUE

Implication et conséquences de la correctionnalisation :

Sur vous, victimes : En acceptant de faire juger votre « viol » dans un tribunal correctionnel, vous devez savoir que ce que vous avez vécu, subit, ne sera pas reconnu. La pénétration, les pénétrations, n’existent plus. La justice nie volontairement les faits. Si vous êtes reconnue victime, vous l’êtes pour moins que ce dont vous avez été victime. La reconnaissance par la justice est tronquée.  Le plus souvent, pour les victimes d’inceste, le viol n’est pas maquillé en agression sexuelle mais en atteinte sexuelle. Il faut savoir que dans l’atteinte sexuelle, ce qui est condamné c’est le principe même de l’acte commis par un auteur sur un mineur. Certaines victimes considèrent que la justice les estiment consentantes au « rapport sexuel » . Il est vrai que la question du consentement ou de l’absence de consentement ne se pose pas.  Bien évidemment, l’atteinte sexuelle n’est pas un viol, c’est une notion assez large qui se rapproche plutôt de la notion d’attouchements. Vous l’aurez compris en acceptant un jugement dans un tribunal correctionnel, votre enfant, vous-mêmes , n’êtes pas victimes de viols. Pas victimes de crimes mais d’un délit.

Sur l’auteur :  Dès lors qu’il est jugé par tribunal correctionnel, il n’est évidement pas considéré comme un violeur, un criminel, mais comme un agresseur, un délinquant. Pour lui c’est d’un grand intérêt : Alors que pour viol il encourt une peine de 20 ans de réclusion. Dans un tribunal correctionnel, la peine maximale est de 10 ans de prison. Autant vous le préciser, non seulement  la peine maximale n’est quasiment jamais prononcée, mais un agresseur avec casier judiciaire vierge (ou faussé voir ci-dessous) sera rarement condamné à de la prison ferme.

Les autres conséquences : Sur le casier judiciaire , votre bourreau a été condamné pour agression ou atteinte sexuelle, c’est le délit qui sera enregistré dans son casier judiciaire. Vous savez vous que c’est un violeur, mais vous avez accepté le tribunal correctionnel, sachez que vous avez aussi accepté de participer à fausser un casier judiciaire.

A force de correctionnalisation, la société banalise le viol. Les répercussions sont importantes, vous avez déjà du lire que seul 2% des violeurs sont condamnés, on estime qu’il y a 80% de correctionnalisation. Autrement dit, lorsque vous donnez votre accord pour la correctionnalisation, votre viol est hors statistiques. Il n’existe que pour vous, pas pour la justice et pas pour le reste de la société.

Imaginons que votre violeur viole une autre personne. Il sera jugé peut-être en Cour d’Assises cette fois-ci donc bien pour le crime qu’il a commis. Il ne sera pas considéré comme récidiviste pour la Cour d’Assises puisque la première fois il n’a pas été jugé pour viol mais pour atteinte ou agression sexuelle. Un délit et non un crime.

Pourquoi cette pratique de la correctionnalisation ?

Une raison essentielle , économique, financière. Les Cours d’Assises ne peuvent juger que 2200 crimes par an. Le viol, est un tel crime de masse que les délais qui sont déjà très longs seraient impossibles à tenir. Correctionnaliser c’est désengorger les Cours d’Assises. Si tous les viols était jugés comme des viols qu’ils sont , le système pénal ne tiendrait pas. Alors, au lieu de donner des moyens à la justice, au lieu de rechercher d’autres solutions, nos gouvernants se satisfont d’une pratique qui nie les victimes et ce qu’elles ont subit. En acceptant la correctionnalisation, vous avez droit à une sous-justice. Il faut savoir que nombre de victimes prennent conscience qu’elles ont été trompées par cette justice bien des années plus tard.

Pour vous parents de victimes, il ne faudrait pas que votre enfant devenu adulte vous reproche d’avoir transigé, d’avoir accepté de travestir ce qu’il a vécu.  Et, surtout, il ne faudrait pas qu’il en souffre pendant des années et des années. Qu’il ne soit pas doublement victime, victime de viols et victime de la correctionnalisation.

La correctionnalisation est une pratique illégale

Déjà au XIXe siècle un grand criminaliste disait « le mot de correctionnalisation n’est pas plus français que le procédé n’est légal »

Elle va à l’encontre à d’un principe d’ordre public : La compétence matérielle des juridictions. En principe en vertu duquel , les crimes sont jugés par les Cour d’Assises, les délits pas tribunaux correctionnels…

Elle porte atteinte à un principe à valeur constitutionnelle : le principe d’égalité des justiciables devant la loi. pour en savoir plus…

Mise à jour juin 2018: quand deux Ministres de la Justice reconnaissent officiellement la correctionnalisation du viol

Le 3 mai 2011, devant la Commission des Lois du Sénat, le ministre de la justice Michel Mercier reconnaît et déplore la correctionnalisation:

Le but est de limiter la correctionnalisation des crimes. La cour d'assises ne juge que 2 200 crimes par an. En effet, les juges d'instruction préfèrent souvent soumettre au tribunal correctionnel des affaires qui relèvent des assises, pour des raisons notamment de rapidité, mais au prix d'un affaiblissement de la réponse pénale. Les viols, par exemple, sont souvent requalifiés en « agressions sexuelles », afin de pouvoir être jugés par le tribunal correctionnel, où le quantum de peine encouru est limité à dix ans. La pratique varie d'un département à l'autre, d'où une inégalité de traitement entre les justiciables.

Sept ans plus tard, la réforme de la Justice souhaitée par Michel Mercier n'a pas vu le jour. La ministre de la justice Nicole Belloubet déclare devant la même Commission des Lois le 11 juin 2018:

Les magistrats, bien entendu, ne sont pas laxistes. Par ailleurs, il convient de rappeler que le chiffre de 1 % représente une estimation. Peut-être faudrait-il réaliser des études plus approfondies pour s'assurer de sa réalité. Mais n'oublions pas dans une querelle de chiffres une situation juridique insatisfaisante. Plusieurs raisons expliquent le faible nombre de condamnations. D'abord, comme l'indiquait Marlène Schiappa, de nombreuses victimes de viols ou d'agressions sexuelles ne déposent pas plainte, raison pour laquelle nous avons souhaité développer un mécanisme de pré-plainte en ligne. Il ne s'agit aucunement d'une déshumanisation ou d'une robotisation de la justice, mais d'une possibilité offerte aux victimes de ne pas immédiatement se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. La pré-plainte permettra évidemment de convenir ensuite d'un entretien avec un enquêteur. Ensuite, la qualité d'écoute n'est vraisemblablement pas assez développée chez les forces de l'ordre, comme chez les magistrats. Des formations seront renforcées à cet effet. Par ailleurs, la preuve - je rappelle que le viol est caractérisé par quatre éléments : la violence, la menace, la surprise et la contrainte - est parfois délicate à établir ou à reconstituer. Enfin, il existe une tendance à la correctionnalisation des viols parce que le tribunal correctionnel va statuer plus rapidement qu'une cour d'assises, d'autant que les jurés parfois preuve d'une attitude plus sévère que les magistrats professionnels. L'ensemble de ces paramètres, qu'il faudrait plus finement analyser, aboutit au résultat que nous constatons en matière de condamnation.

La ministre dit également que les jurés (des cour d'Assises) feraient preuve d'une attitude plus sévère que les magistrats professionnels (du Tribunal Correctionnel). Est-ce un lapsus ? Pour encourager voir contraindre les victimes à accepter la correctionnalisation, on leur dit souvent qu'avec des magistrats professionnels le résultat est moins incertain, dans le sens où la probabilité d'un acquittement serait moindre. Ce qui reste à prouver bien sûr ! Aucune étude ne confirme ces préjugés.

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