Lettre ouverte aux députés de la Délégation au Droit des Femmes

Actualité Publié le 22.04.2018

Après avoir auditionné des experts et des associations comme la nôtre, la Délégation au Droit des Femmes de l'Assemblée nationale a rendu son rapport le 19 avril. Le 22 avril, nous leur avons adressé la réponse ci-dessous.

Madame la présidente,

Mesdames et Messieurs les députés,

Merci beaucoup de nous avoir écouté(e)s dans le cadre de vos travaux sur les violences sexuelles aux mineurs. Nous avons lu avec grande attention votre rapport d’information N°895 daté du 19 avril 2018.

La Délégation au droit des femmes a cherché à corriger les insuffisances du projet de loi présenté par le Gouvernement le 21 mars dernier. Cependant, bien que votre Rapport d’information évoque la « spécificité » de l’inceste, aucune des 16 Recommandations de la Délégation n’est spécifique à l’inceste. Autrement dit le message adressé par la Délégation aux survivant(e)s de l’inceste, c'est : « nous avons compris que les violences intrafamiliales sont un fléau touchant des millions de Français, mais nous ne proposons aucune mesure spécifique pour traiter ce problème de santé publique. »

Certaines recommandations vont dans le bon sens

Pour être équitables, nous saluons les recommandations 1, 2, 3, 7 et 8 de votre rapport qui vont dans le bon sens :

Recommandation n° 1 : Améliorer le recueil de données statistiques sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Recommandation n° 2 : Généraliser le programme Nénuphar dans toutes les unités médico-judiciaires (UMJ) et diffuser les supports auprès de tous les professionnels de santé prenant en charge des mineurs victimes de violences sexuelles.

Recommandation n° 3 : Garantir une prise en charge spécialisée à toutes les étapes de la procédure judiciaire dans les cas de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs, en particulier lorsqu’il s’agit de viols sur mineurs

Recommandation n° 7 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

Recommandation n° 8 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte sexuel sans pénétration imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Pourquoi c’est insuffisant ?

  • - Parce que Coralie, 11 ans, violée par son grand frère de 16 ans, pourra toujours être considérée comme « consentante » par la loi française. Dans ce cas le grand frère incestueux n’encourt aucune sanction, car il n’est pas majeur et l’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans ne peut être commise que par un majeur sans sa rédaction actuelle. Il échappera également à la nouvelle infraction proposée (recommandation n°7) qui ne concerne que les relations imposées par un majeur à un enfant de moins de 13 ans.
  • - Parce qu’Alice, 14 ans, violée et manipulée par son beau-père qui use de son emprise pour lui faire croire à une « histoire d’amour », verra sa plainte pour viol requalifiée en « atteinte sexuelle » et donc correctionnalisée.
  • - Parce qu’Alain et Béatrice, 6 ans, violés par un animateur dans un centre de loisir, verront leur plainte requalifiée en « agression sexuelle » comme l’immense majorité des plaintes pour viol. Et ce malgré le rapport d’expertise gynécologique établi par l’UMJ. Bien qu’illégale, la correctionnalisation des viols continuera très probablement à être pratiquée en masse dans les années à venir.

Nos propositions

Aussi nous vous proposons trois recommandations supplémentaires, numérotées à partir de 17 pour éviter toute confusion avec celles de votre rapport :

Recommandation n°17 : Inscrire dans la loi le fait qu’aucun mineur ne saurait être consentant à l’inceste. Tout acte sexuel commis sur un mineur par un membre de sa famille (tel que défini par l’article 223-31-1 du Code Pénal) devrait être puni avec la même sévérité qu’un viol. Le moyen le plus simple d’y parvenir est de créer une nouvelle infraction spécifique pour l’inceste, distincte du viol.

Recommandation n°18 : Inclure les cousins dans la définition de l’inceste, comme proposé par la députée Annie Chapelier.

Recommandation n°19 : Lancer une grande campagne d’information et de sensibilisation pour le grand public sur l’inceste et les violences intrafamiliales.

Pour un "plan Inceste"

Afin de compléter ces recommandations, nous joignons à ce courrier une copie des 29 mesures du « plan Inceste » que nous préconisons depuis 2004 et qui permettraient une véritable politique de prévention de ce fléau de santé publique qui reste peu connu et mal pris en charge. 

Nous vous rappelons que selon les statistiques 2014 du SNATED (qui gère le numéro d’urgence 119 Allo Enfance Maltraitée), les trois quarts (75%) des violences sexuelles sur mineurs sont incestueuses. D’après un sondage Harris Interactive pour Face à l'inceste de 2015, 4 millions de Français (6% de la population) déclarent être des survivants de l’inceste. La moitié d’entre eux ont commis une tentative de suicide. L’inceste tue, sans doute plus que les accidents de la route, bien que les études statistiques officielles manquent pour quantifier les conséquences de ce fléau.

Il est temps d’agir !

Je vous prie d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de ma haute considération.

Isabelle Aubry, présidente

Association Internationale des Victimes de l’Inceste (AIVI)