« En Finir avec la Culture du Viol » : interview de Noémie Renard

Actualité Publié le 26.03.2018

 

Noémie Renard, chercheuse en biologie et auteure du blog Antisexisme.net, a répondu à nos questions sur son livre « En finir avec la culture du viol » paru tout récemment aux éditions Les Petits Matins.

  1. 1.     Comment expliquer que le viol est l’un des crimes les plus fréquent (12% des femmes en France d’après un sondage de la fondation Jaurès publié juste après la sortie de votre livre) et l’un des moins punis ?

C’est tout l’objet de mon livre. Le viol est banalisé et le mythe du « vrai viol » » (commis par un inconnu dans une ruelle sombre armé d’un couteau) et de la « vraie victime » (qui n’a pas bu, ne portait pasr de vêtements courts, etc) masque la réalité. Plusieurs grands facteurs l’expliquent :

  • -       Les magistrats et professionnels de la justice baignent dans ces croyances sur les violences sexuelles (minimisation de l’inceste, du viol conjugal)
  • -       La justice manque de moyens !
  • -       La rédaction de la loi a été aussi influencée par ces stéréotypes. Elle suppose une présomption de consentement par défaut (Note de Face à l'inceste : La Convention d’Istanbul définit le viol comme tout relation sexuelle sans consentement).
  1. 2.     À propos de loi, saviez-vous que la loi de 1980 constitue en fait une régression importante dans la pénalisation du viol, sur mineurs et sur majeurs, au contraire de ce qu’on pourrait croire ?

Non, le l’ignorais. (Note de Face à l'inceste : voir sur ce sujet notre étude historique sur l’inceste dans le code pénal de 1810 à 2018)

  1. 3.     Croyez-vous qu’il existe également un stéréotype du « vrai pédophile » ?

Oui tout à fait, comme pour Marc Dutroux. C’est le stéréotype du pédophile qui rôde autour des écoles et fait monter les enfants dans une camionnette. On oublie que la plus grande part des violences sexuelles sont commises à l’intérieur de la famille.

  1. 4.     Y a-t-il un lien selon vous entre inceste et patriarcat ?

Oui car historiquement les enfants et l’épouse étaient considérés comme la propriété du mari. Le patriarche avait tous les droits sur le reste de la famille, de façon explicite ou pas. Droit sur le corps de sa femme et implicitement sur le corps des enfants. C’est une chose qui persiste. Laurence Rossignol a été durement attaquée notamment sur les sites d’extrême droite lorsqu’elle a dit « les enfants ne sont pas la propriété de leurs parents ». C’est une phrase qui dérange.

  1. 5.     « La famille c’est sacré » Que faire quand l’agresseur fait partie de la famille ?

Ça peut être très compliqué avec les rapports de force et la dépendance économique et affective.

  1. 6.     Nous demandons depuis 2004 que l’inceste et la pédocriminalité soient traités comme des problèmes de santé publique et non uniquement sous l’angle juridique. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement les violences sexuelles en général sont un grave problème de santé publique. Le Syndrome de Stress Post-Traumatique engendre dépression, troubles alimentaires, alcoolisme, addictions, tentatives de suicide, etc. qui ont un énorme impact sur la santé des victimes.

  1. 7.     Vous parlez de prostitution. Savez-vous que les mineurs en sont fréquemment victimes ? Seriez-vous favorable à une pénalisation plus forte des clients ?

Oui, j’ai été bénévole au Mouvement du Nid, et il y avait des mineures parmi les personnes que nous rencontrions. Par ailleurs, les violences sexuelles commises pendant l’enfance constituent un facteur d’entrée dans la prostitution.

Je suis abolitionniste et considère que la prostitution est une forme de violence sexuelle (Note de Face à l'inceste : nous aussi !). La pénalisation actuelle (une simple contravention pour les clients de la prostitution) est très légère et très récente aussi, et sans rapport avec les conséquences sur la santé de ce fléau. C’était peut-être un premier pas pour diminuer l’acceptation sociétale de la prostitution.

Malgré la vague du #MeToo la réflexion publique sur la question de la prostitution n’a pas tellement évolué. Les violences sexuelles commises par coercition économique (prostitution, pornographie, dépendance financière des femmes) demeurent assez peu visibles. Les réactions aux affaires Darmanin, souvent négatives envers les victimes, sont  symptomatiques de ce déni sociétal.

La coercition économique joue souvent un rôle dans les affaires d’inceste aussi, et dans les stratégies pour contraindre la victime au silence.

  1. 8.    Et le stéréotype des « pulsions incontrôlables » des hommes ?

Les désirs masculins sont toujours présentés comme des « besoins » irrépressibles, comme une condition de leur épanouissement et de leur santé. Une sorte de droit fondamental et naturel, qui crée en face un devoir pour les épouses, petites amies, ou éventuellement les enfants. Face à ce « droit au sexe » des hommes, le droit des femmes et enfants à disposer de leur corps et à être en sécurité semble moins fondamental. La prostitution, la pornographie, les robots sexuels sont également justifiés par ce besoin « inévitable » des hommes.

Le roman « Lolita » de Nabokov est raconté du point de vue du narrateur, qui se présente comme victime de pulsions irrépressibles. Dans la réalité ses actions sont perverses et manipulatrices. Le terme « Lolita » est parfois utilisé pour désigner des jeunes filles sexualisées qui « allument » les hommes dans une séduction perverse et une inversion des rôles. Cette inversion des rôles est fréquente dans les affaires de viol et d’inceste.

  1. 9.     Le plan du 1er mars 2017 se donnait comme ambition de lutter contre l’exposition des mineurs à la pornographie. Un an plus tard, rien de concret n’a été entrepris. Qu’en pensez-vous ?

L’inaction totale du gouvernement est choquante. La protection des mineurs contre l’exposition à la pornographie ne semble pas une priorité pour le gouvernement. Le Royaume-Uni le fait, pourquoi pas la France ?

  1. 10.  Seriez-vous prête à signer et soutenir notre pétition « Inceste : aucun consentement de 0 à 18 ans » ?

Oui, je la soutiens.

  1. 11.   Que pensez-vous du projet de loi de lutte contre les violences « sexistes et sexuelles » présenté le 21 mars dernier par le gouvernement ?

C’est une grosse déception par rapport aux annonces qui avaient été faites. Avec cette nouvelle loi, il y a même un risque de retour en arrière. En effet, certains juristes pointent le risque d'une augmentation du recours à la correctionnalisation, une pratique déjà très fréquente concernant les viols. La France est l’un des rares pays qui refuse encore d’instaurer un âge limite de consentement. L’argument d’inconstitutionnalité me semble peu crédible, surtout au vu de ce que vous m’avez dit sur « l’attentat à la pudeur », un ancien crime qui pénalisait automatiquement tout adulte ayant des rapports sexuels avec un enfant de moins de 15 ans. On voit une l’automaticité de la peine comme une sorte de danger pour les droits de la défense, alors que les violences massives commises contre les femmes ou les enfants ne sont pas perçues comme un danger ou un problème de santé publique.

La fiction d’une histoire d’amour entre Roméo 18 ans et Juliette 14 ans masque la réalité des violences sexuelles contre les plus jeunes. Ce que fait le code criminel au Canada qui prend en compte l’écart d’âge avec plusieurs paliers de 12 à 16 ans est une piste intéressante.

  1. 12.  Le gouvernement montre sa volonté de lutter contre les violences sexuelles au travail et dans la rue (harcèlement de rue, etc). Et les violences intrafamiliales ?

Elles sont ignorées, on continue à ne pas en parler. Il y a encore un tabou autour de ça.

  1. 13.  Connaissez-vous le soi-disant Syndrome d’Aliénation Parentale et son utilisation en justice pour discréditer la parole de l’enfant et du parent protecteur ? Qu’en pensez-vous ?

C’est une invention de Richard Gardner qui était lui-même un promoteur de la pédocriminalité. C’est une pseudoscience qui ne vise qu’à discréditer la parole de la victime. Le psychiatre Paul Bensussan est un des promoteurs en France de cette pseudo-théorie. Il était prévu dans le 5e plan de lutte contre les violences faites aux femmes en 2017 d’ « Informer sur le caractère médicalement infondé du « syndrome d’aliénation parentale ». Cependant je n’ai pas réussi trouver aucune circulaire publiquement accessible sur le site du ministère de la justice. Pour le moment, « l’aliénation parentale » [NR3] elle continue à être invoquée régulièrement dans les tribunaux.

  1. 14.  Vous citez Alain Soral, bien connu pour ses positions racistes et antisémites, comme un promoteur d’une relation basée sur la domination masculine et la violence, à travers sa « Sociologie du Dragueur ». Selon vous y a-t-il un lien entre les discriminations sociales, raciales ou autre et la violence sexuelle ?

Oui car les violences sexuelles s’inscrivent dans un système inégalitaire. L’agresseur est dans un rapport de force et de domination avec sa victime. Il est démontré que les personnes qui justifient le viol ont des opinions davantage sexistes, homophobes, racistes, et qu’ils tiennent à ces hiérarchies. Soral a une haine des femmes hallucinante et qui justifie toutes les violences.

La culture du viol est également véhiculée dans des fictions grand public comme « 50 nuances de Grey », où toute l’intrigue repose sur l’inégalité entre les protagonistes, et le pouvoir exercé par Grey sur sa victime essentiellement passive et ignorante, inexpérimentée. Il contrôle non seulement la sexualité de sa victime mais aussi tous les aspects de sa vie : qui elle voit, ce qu’elle mange, etc.

  1. 15.  Vous proposez plusieurs pistes pour mettre fin à la culture du viol, pouvez-vous développer un peu ?

La dernière partie de mon livre développe cinq axes :

  • a)    Sensibiliser et éduquer
  • b)    Former les professionnels
  • c)     Faire progresser la loi
  • d)    Se donner les moyens
  • e)     Lutter contre les inégalités

 La lutte contre les violences sexuelles doit s’inscrire dans les mouvements émancipateurs pour l’égalité (pour les droits des enfants, des minorités racisées, des personnes en situation de handicap qui sont 3 fois plus victimes de viol que la moyenne – 7 fois plus dans le cas du handicap mental).

  1. 16.  Vous terminez en écrivant qu’on ne peut pas tout attendre des pouvoirs publics et qu’il faut agir à notre échelle. C’est à dire concrètement ?

Écouter et soutenir les victimes qu’on connaît dans notre entourage. Prendre parti pour la victime lorsqu’on connaît également l’agresseur. Gare aux conflits de loyauté ! Se poser la question : que ferait-on si telle ou telle personne proche nous apprenait qu’elle a été violée ? 

L’engagement associatif peut aussi faire la différence (donner, signer et relayer les informations).

  1. 17.   Il y a des hommes parmi les survivant(e)s de l’inceste, parmi nos adhérent(e)s, nos sympathisant(e)s et nos bénévoles. Quand on est un homme, pourquoi et comment lutter contre le patriarcat et la domination masculine ?

Sans prétendre tout savoir, voici quelques pistes : si un homme veut lutter contre la culture du viol, il peut commencer par une introspection sur la culture du viol et la manière dont il l’a intériorisé dans ses propres désirs et représentations. Comment perçoit-il les femmes et sa relation aux femmes ? Voilà la première question que devrait se poser un homme qui voudrait se rendre utile.

Voir aussi: discussion sur le livre "En Finir avec la Culture du Viol" de Noémie Renard sur notre forum.